Luxembourg, 19 juil 2016 (SPS) L’Union européenne (UE) a été "incapable" de réfuter la prétendue souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental et elle s’en remet aujourd’hui à la justice pour définir le statut de ce territoire, pourtant inscrit dès 1963 sur la liste de l’ONU des territoires non autonomes, a affirmé mardi l’avocat du Front Polisario, Gilles Devers, regrettant le "double langage" de l’Europe.
"J’émets l’hypothèse que, pris dans cette impasse privilégiant ses relations avec le Maroc, et incapable d’aller dire aux autorités marocaines qu’il faut que l’on change, l’UE s’en remet à la justice", a-t-il déclaré à l’issue des plaidoiries dans l’affaire opposant le Conseil de l’UE et la Commission au Front Polisario devant la grande chambre de la Cour de justice de l’UE.
Selon, ce juriste, chef de fil du collectif des avocats constitué par le Front Polisario, l’attitude de l’UE qui a fait appel de la décision du Tribunal européen rendue en décembre dernier "en est la parfaite illustration".
"Les débats (devant la grande chambre de la CJUE) confortent notre analyse, à savoir que l’UE s’en est remis au Maroc pour la définition d’un territoire et cela n’est vraiment pas acceptable en droit des traités", a-t-il souligné.
"Si le politique ne peut pas trancher, on verra bien ce que dira le juge", a-t-il ajouté.
Pour Me Gilles Devers, le champ d’application de l’accord conclu entre l’UE et le Maroc doit être défini par le Conseil de l’UE et non pas par le Maroc qui inclus un territoire à décoloniser, rappelant que, dans son avis rendu en 1975, la Cour de justice internationale a affirmé que le Maroc n’a pas de souveraineté sur le Sahara occidental.
Insatisfait de l’arrêt rendu en décembre dernier par le Tribunal européen qui a annulé l’accord conclu en 2012 entre l’UE et le Maroc prévoyant des mesures de libéralisation réciproques en matière de produits agricoles, de produits agricoles transformés, de poissons et de produits de la pêche dans la mesure où il s’applique au Sahara occidental, le Conseil de l’UE a introduit un pourvoi devant la Cour de justice de l’UE pour en réclamer l’annulation.
Le Front Polisario a saisi le Tribunal de l’UE pour demander l’annulation de l’accord à l’égard du Sahara occidental au motif que cet accord a vocation de s’appliquer également au territoire du Sahara occidental.
Par arrêt du 10 décembre 2015, le Tribunal européen a décidé d’annuler l’accord dans la mesure où il s’applique au Sahara occidental. Le Tribunal a considéré que le Conseil avait manqué à son obligation d’examiner, avant l’adoption de l’accord, s’il n’existait pas d’indice d’une exploitation des ressources naturelles du territoire du Sahara occidental occupé susceptible de se faire au détriment de ses habitants et de porter atteinte à leurs droits fondamentaux.
Le Tribunal européen a reconnu dans cet arrêt, la capacité d’ester en justice du Front en tant que personne morale et a déclaré le recours recevable du fait que le Front Polisario était directement et individuellement concerné par l’accord.
Le Conseil de l’UE, soutenu par la France, l’Allemagne, l’Espagne, le Portugal et la Belgique, estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant que le Front Polisario avait qualité pour agir devant le Tribunal de l’UE et soutient dans son appel que le Tribunal a commis une autre erreur de droit en concluant que le Front Polisario était directement et individuellement concerné par la décision annulée.
Cependant, pour Me Gilles Devers, le statut du Front Polisario est "extrêmement clair". Il s’agit, a-t-il poursuivi, d’un mouvement de libération nationale, reconnu par l’Union africaine (UA) et interlocuteur de l’ONU dans les pourparlers pour la résolution du conflit au Sahara occidental.
"En juin 2015, le Front Polisario a demandé à pouvoir ratifier les conventions de Genève, une capacité réservée aux Etats et mouvements nationaux de libération.
La Suisse l’a accepté et il a été notifié aux 184 Etats signataires de la convention.
Un seul a protesté, c’était le Maroc. Mais aucun des autres Etats qui ont été destinataires de cet acte dans lequel le Front Polisario s’engage, dans le cadre des hostilités avec le Maroc, à respecter le droit international humanitaire et la convention de Genève, n’a protesté", a-t-il fait savoir.
Le Conseil de l’UE reproche également au Tribunal d’avoir commis une erreur en fondant l’annulation qu’il a prononcée sur un moyen qui n’avait pas été invoqué par le Front Polisario et sur lequel le Conseil n’a pas eu la possibilité de se défendre.
Réfutant tous les arguments avancées par les avocats de la partie adverse, Me Gilles Devers a mis l’accent dans sa plaidoirie sur de nombreux points considérés comme des "constantes", notamment sur le fait que le Maroc n’a pas de souveraineté sur le Sahara occidental, qu’il n’a pas de mandat international, et que le Front Polisario est le seul représentant du Sahara occidental. Des points que l’avocat du Front Polisario considère comme "définitivement acquis", parce que reconnus par le Conseil et la Commission.
Pour Me Gilles Devers, "le Maroc n’a pas le contrôle administratif sur le Sahara occidental, mais plutôt militaire". L’objectif visait par cette action devant la justice européenne est de "dire à l’Europe qu’il y a un peuple, il y a des frontières, reconnues internationalement, il faut respecter cela", a-t-il conclu.
La grande chambre de la CJUE devrait délibérer le 13 septembre prochain.(SPS)
020/090/700 192100 JUIL 016 SPS