Paris, 05 SEPT 2012 (SPS) L’Association Française d’Amitié et de Solidarité avec les Pays d’Afrique (AFASPA) vient de publier un témoignage accablant de la répression féroce à laquelle les Sahraouis sont confrontés au quotidien dans les territoires occupés et au sud Maroc.
Voici ce témoignage recueilli sur place en juillet dernier par la Secrétaire général de l’AFASPA, Mme Michèle Decaster, qui vient corroborer le rapport de la Fondation Kennedy publié récemment sur les atteintes flagrantes aux droits de l’homme dans la partie occupée du Sahara occidental par le Maroc.
Elles étaient à Gdeim Izik,
5 mois de prison pour Hayate et N’Guya âgées de 20 ans
Trente sept ans et cinq mois après le premier coup de feu contre le colonisateur espagnol, un soulèvement populaire d’ampleur inégalée s’est produit au Sahara occidental, au nez et à la barbe du nouvel occupant marocain. Ses brigades de police, de gendarmerie, ses détachements de l’armée, de la DST, des RG et ses mouchards n’ont rien vu venir. En quelques jours le campement est passé d’une dizaine de tentes à des milliers où se sont réunis 20 000 sahraouis de toutes générations.
Hayate et N’Guya évoquent cette nouvelle étape de leurs jeunes vies militantes.
Je n’avais pas discuté avec elles depuis janvier 2009, où elles m’avaient raconté comment elles s’étaient engagées dans la lutte pour l’indépendance, les arrestations et tortures qu’elles avaient endurées. Aujourd’hui je découvre des jeunes filles encore plus sereines, dont la réflexion s’est nourrie d’expériences nouvelles, enthousiasmantes autant qu’éprouvantes, qui ont renforcé leur détermination à militer pour vivre libres.
Hayate / L’image qui me vient immédiatement à l’esprit quand on évoque Gdeim Izik, c’est celle de la violence de son démantèlement par la force publique. L’avion qui déversait le gaz lacrymogènes, les tentes incendiées.
N’Guya / Pour moi c’est la même chose, j’ai été choquée de voir des femmes impuissantes devant la souffrance de leurs bébés qui suffoquaient, d’autres qui avaient perdu des enfants en fuyant dans la nuit devant les hommes en arme. C’était la terreur dans le camp dévasté.
Cet anéantissement brutal a-t-il entamé votre résistance et celles des Sahraouis?
Hayate/ Dès le montage des tentes, nous avons démontré la volonté de notre peuple et son unité. Nous avons dévoilé au monde la réalité de notre vie quotidienne. Nous avons mis en lumière les 35 années de mensonges du Maroc, notre attachement au Front Polisario et la décision de poursuivre la résistance. Continuer aujourd’hui va dans cette logique.
Quelle fut votre implication dans le campement ?
N’Guya/Nous l’avons regagné au 10ème jour, il y avait à ce moment là 400 tentes. Il était bien organisé. Nous participions à la section de l’aménagement et de la propreté, installée dans la tente de « La Municipalité ». Chaque matin nous allions nettoyer les ruelles entre les tentes. Nous nous occupions également de l’accueil et de l’accompagnement des étrangers, journalistes et sympathisants, qui entraient clandestinement. Nous les conduisions auprès des familles qui avaient été agressées par les forces publiques alors qu’elles voulaient rejoindre le camp. Nous discutions avec les gens sur les formes de résistance pour faire aboutir les revendications des manifestants.
Quelles étaient les revendications essentielles des participants à ce campement de la dignité ?
N’Guya/ Elles étaient d’ordre socio-économique : le droit au travail pour tous et pour les jeunes diplômés des instituts et du secondaire, le droit à un habitat convenable, le refus de la spoliation des ressources naturelles de notre pays, en particulier le phosphate et les produits de la mer.
Qu’avez-vous vécu de différent par rapport à votre vie habituelle ?
Hayate/ Nous avons connu des semaines de sérénité entre Sahraouis, nous nous sentions libres, seuls, loin des yeux marocains. Chacun pouvait s’exprimer librement sur ce qu’il ressent, que ce soit sur des sujets politiques ou autres, sans la crainte d’être espionné. Nous étions unis, il n’y avait pas de différences entre nous. Nous avons aussi démontré notre capacité d’auto-organisation : assurer la sécurité, la propreté, la distribution de nourriture, les soins médicaux... Nous sommes fiers de cette expérience qui a donné courage à tout le monde et fait tomber la peur.
Et depuis qu’en est-il de la peur ?
Hayate/ Passée la frayeur du démantèlement, nous avons tout de suite été conscients du bénéfice de cette expérience et la fierté d’avoir surmonté la peur de l’occupant. Presque tout le monde depuis parle de la cause sahraouie. La réalité de la sauvagerie du gouvernement marocain et de ses troupes a éclaté au grand jour. Même des gens pro-marocains ont commencé à changer d’avis. Nous n’attendons que l’occasion de démontrer une nouvelle fois notre volonté. Depuis, les manifestations qui ont eu lieu dans toutes les villes voient la participation de toutes les générations, et ce malgré la répression dont elles sont l’objet.
Que se passait-il dans les soirées et des meetings ?
N’Guya/ La colonisation a tenté de faire disparaître la culture sahraouie. La vie du camp a permis de la mettre en valeur, d’en faire renaître certains aspects et de retrouver nos comportements ancestraux. On utilisait les affaires les uns des autres, on se regroupait dans les tentes pour parler la cause sans crainte car les jeunes qui gardaient le camp étaient là pour assurer notre sécurité et non moucharder. Nous avons joué aux jeux que pratiquaient nos parents comme le sigh et d’autres qui commencent à se perdre. Les vieux et les vieilles ont eu un rôle majeur : Les femmes sahraouies ont cousu les tentes, elles l’ont enseigné aux jeunes filles citadines et leur ont appris à les monter. Les hommes ont participé dans la pratique et la sauvegarde de la langue car les jeunes ont métissé le Hassania avec le dialecte marocain obligatoire à l’école ainsi que l’Arabe. Ils ont montré les jeux spécifiques aux hommes.
Comment s’est passé l’expulsion du campement pour chacune de vous ?
Hayate/Pour moi, c’était la première nuit que je passais dans la tente de ma maman, les autres nuits j’étais avec mes amis et camarades. J’avais le pressentiment qu’il se passerait quelque chose. A 5 h j’ai été réveillée en sursaut, ma mère hurlait d’un côté et mes frères d’un autre. J’ai donné son portable à ma mère et chacun est parti de son côté. Je ne comprenais pas car tout avait été discuté et organisé avec les autorités pour la poursuite et cette attaque a été vécue comme une traitrise. Je me demandais si c’était la réalité ou un cauchemar qui se déroulait sous mes yeux : la troupe qui s’approche avec des fusils et des armes blanches, les nuages de gaz lacrymogène et lances à incendie qui déversaient de l’eau chaude. Ce matin-là j’ai lu dans les yeux des Sahraouis une grande détermination et la conviction de la légitimé de nos revendications, bien que les forces ne soient pas égales (des camions et un arsenal contre un peuple désarmé). Ils ont défendu leurs tentes jusqu’à la dernière minute.
N’Guya/ Ce matin-là j’ai eu peur quand j’ai vu s’avancer les forces de police avec leur armement. Les enfants qui pleuraient, j’étais bouleversée, c’était un jour de désastre. La peur qui m’avait submergée s’est amenuisée en approchant de la ville en récupérant ma détermination. J’ai pensé que ce serait le dernier jour du Maroc au Sahara occidental. Le monde entier allait dénoncer cette agression, la communauté internationale allait nous aider à accéder à l’indépendance.
Qu’avez-vous fait ensuite ?
Hayate/Nous ne nous sommes pas cachées, on a continué notre travail, en ramassant dans la ville les restes des munitions utilisées contre les manifestants par les armes offensives des forces de police : douilles, capsules… toute trace que l’on pouvait trouver pour les remettre aux enquêteurs d’Amnesty International.
Endécembre 2010 vous étiez déléguées pour participer au 17ème Festival internationale de la jeunesse et des étudiants en Afrique du Sud, que s’est-il passé à l’aéroport de Laayoune ?
Hayate/Après notre départ pour l’aéroport la police est arrivée chez mes parents et a fouillé la maison ainsi que celle d’un ami. Ils ont confisqué l’ordinateur, des CD et des documents. Nous savions que nous étions sur le point d’être arrêtée, mais on a tenu à démontrer que nous n’avions pas peur. La délégation avait pour objectif de démontrer à ce festival la situation actuelle vécue par les Sahraouis et la foule de gens qui avaient été arrêtés. L’utilisation d’armes offensives, de balles en caoutchouc et surtout l’attaque par des civils marocains incités par les autorités qui leur demandaient d’aller « sauver leur armée.
L’aéroport à notre arrivée était véritablement en état de siège. Les services de l’aéroport ont fouillé les bagages de toute la délégation sauf les deux nôtres. On nous a convoquées dans un bureau. Deux policières nous ont fouillées ainsi que nos bagages. Une cinquantaine de policiers en civil avec de nombreux appareils nous encerclaient : ils nous ont bombardées de photos. Pendant ce temps l’avion a décollé sans nous. Après on nous a fait sortir, une estafette nous attendait pour nous conduire à la gendarmerie royale de Laayoune.
N’Guya/Arrivées là, les gendarmes ont appelé une femme civil, elle nous a fait entrer dans les toilettes et nous a déshabillées, fouillées, et elle trouvé une carte mémoire sur Hayate. Nous nous sommes rhabillées et on nous a conduites au bureau où se trouvait l’enquêteur. Il a mis la carte dans l’ordinateur et il a vu des photos de la visite dans les campements de la RASD. Il y avait notamment Khadija Hamdi, des élus de l’Assemblée Nationale et des vidéos de Gdeim Izik.
Hayate/On avait aussi filmé des témoignages de mineurs qui expliquaient les trafics qui se pratiquent dans les écoles, pour inciter les élèves à prendre de la drogue vendue à des enfants. L’homme a transféré les données de la carte mémoire dans l’ordinateur puis il l’a cassée et nous a insultées copieusement.
N’Guya/ L’interrogatoire des policiers a commencé. Ils avaient une idée fixe : le groupe des 70 personnes qui avaient participé à la conférence à Alger, persuadés qu’ils étaient à l’origine de la décision de ce campement. Ils nous ont montré des photos de vieux et jeunes qu’ils avaient prises au cours de manifestations et nous demandaient s’ils avaient participé à Gdeim Izik. Celle d’Enaama Asfari en suggérant qu’il nous donnait de l’argent pour faire ce travail ! Après l’interrogatoire on nous a fait passer dans autre pièce où un homme tenait une baïonnette, il nous a dit qu’on serait tuées avec cette arme. Un autre a dit que ce serait avec le couteau ordinaire qu’il tenait entre les mains. Puis on nous a mis un bandeau sur les yeux avant qu’une autre personne entre dans la pièce. Ils ont lancé notre témoignage enregistré sur ordinateur où nous évoquions la situation du pays, notre expérience et la répression qui sévit au Sahara occupé. Il nous a dit : « Alors, demandez à vos ONG de venir vous libérer de nos mains. Vous verrez si elles sont capables de faire quelque chose pour vous ! ». Puis ils nous ont conduites dans une autre pièce et enlevé les bandeaux. Un homme en civil des services secrets, Rabir, a lu un rapport avec tous les renseignements sur nos familles et ils nous ont laissées seules dans la pièce. Les murs étaient maculés de sang. Nous y sommes restées jusqu’au lendemain. Nous avons dû signer les procès verbaux sans les lire. Une estafette de la gendarmerie nous a emmenées au tribunal où un juge d’instruction qui nous a inculpées en présence d’avocats sahraouis :
- Formation de bande criminelle
- Utilisation d’armes blanches,
- Utilisation de bombonnes de gaz butane
- Intelligence avec une puissance ennemie
- Destruction de biens publics
Hayate/ J’ai répondu « Nous défendons seulement le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, c’est vous qui avez l’armement, nous étions dans un campement pacifique, nous n’avons rien à voir avec ces inculpations ». Il a ordonné notre transfert en prison. Nous sommes montées dans un fourgon où se trouvait un détenu sahraoui, direction la « prison noire » de Laayoune. Á notre arrivée tout le personnel masculin et féminin était présent devant porte avec le directeur. Nous avons été acheminées dans le quartier des femmes. Dès notre entrée, on a compris que notre accueil était préparé. Les gardiennes ont commencé la fouille vestimentaire et corporelle. On nous a fait entrer dans une salle où se trouvaient des détenues marocaines de droit commun. Elles avaient été sensibilisées à notre égard par l’administration, car nous avons été immédiatement violemment agressées verbalement. Le lendemain de cette agression nous avons décidé de faire une grève de la faim pour revendiquer le statut prisonnière d’opinion et demander à être protégées de l’agressivité de ces femmes en étant regroupées dans une cellule à part avec les deux Sahraouies arrêtées dans le campement de Gdeim Isik : Fatma Sabi et Zara Lansari. Elles se trouvaient isolées l’une de l’autre dans des cellules de prisonnières de droit commun et n’étaient pas en mesure de dénoncer les brimades qu’elles subissaient. On leur faisait nettoyer tout le quartier des femmes et éplucher les pommes de terre servies par la prison. Le lendemain le directeur et son adjoint sont venus nous voir pour nous dire : « Ne parlez pas le droit, nous n’avons que faire de votre opinion et de vos revendications. Vous devez accepter cette vie et la situation ». Nous avons répondu que nos revendications étaient légitimes et dénoncé le comportement de l’administration à l’égard des deux Sahraouies. Ils ont refusé de nous entendre : « Vous êtes des petites connes, on ne va pas répondre à vos revendications et vous allez vous taire ou vous le paierez cher ». Après trois autres jours de grève de la faim ils ont accepté de nous rassembler, isolées des détenues de droit commun. Deux jours plus tard deux autres femmes sahraouies, Khaidouma Joumani dite « Ghalia » et Fadala Jaouda ont été incarcérées avec nous. Après leur arrivée une commission de Rabat accompagnée du directeur est venue nous visiter dans notre cellule. Ils ont commencé à parler et nous ont demandé quelles étaient nos revendications. J’ai dit « On a rien à voir avec les accusations portées contre nous car c’est pacifiquement qu’on exprime les revendications du peuple sahraoui ». J’ai ajouté « Comment voulez-vous qu’une femme de plus de 60 ans comme Fadala et l’autre femme puissent faire ce dont on les accuse? » Le directeur a crié « Sois polie !» Je lui ai répondu « C’est toi qui n’est pas poli » alors il m’a giflée et emmenée signer un procès verbal.
Après cette agression j’ai décidé de fait une nouvelle grève de la faim et N’Guya l’a suivie aussi par solidarité. On leur a dit qu’on ne cesserait que si on pouvait voir nos avocats et nos familles car ça faisait une semaine que nous étions arrêtées et nous n’avions pu les voir. Après trois jours nous avons eu droit à une visite dans de très mauvaise conditions : quatre grillages nous séparaient et deux gardiens nous encadraient et de même que nos familles. Dans le parloir il y avait un grand vacarme et on ne pouvait s’entendre. Durant notre détention nous n’avons eu droit qu’à un quart d’heure de visite par semaine. Nous ne pouvions ni lire ni écrire et seulement un quart d’heure de promenade au soleil de la cour par jour. La nourriture nous était apportée par nos familles mais les gardiens nous volaient ce qui leur plaisait. Nous n’avions pas accès à la pièce où il y avait une télévision, ni à cabine téléphonique interdite aux détenues sahraouies de droit commun. Elles n’étaient pas autorisées à nous parler. On a demandé au directeur des cahiers pour écrire notre journal et des livres pour étudier il a refusé et répondu : « Vous croyez qu’on va vous aider à devenir des Aminatou Haïdar ? ». Après un mois et demi deux d’entre nous ont été libérées, les deux autres un mois plus tard, mais nous ils nous ont encore gardées toutes les deux. Notre détention a duré plus de 5 mois.
Cette expérience douloureuse vous a-t-elle apporté quelque chose ?
Hayate / Nous nous souvenions des récits des anciennes disparues ou prisonnières des années de plomb et nous avons pu mesurer que les choses avaient changées, malgré l’arbitraire. Ça nous a donné du courage pour la suite.
N’Guya/ Depuis que nous avons commencé à militer nous avons été souvent arrêtées. On nous menaçait de la prison et on en avait peur, maintenant nous l’intégrons comme une chose normale dans notre vie sous occupation étrangère et on estime que notre cause mérite ce sacrifice.
Avez-vous été jugées ?
Hayate / Nous sommes en liberté provisoire depuis 14 mois. Et cette inculpation reste suspendue au-dessus de nos têtes comme pour beaucoup de Sahraouis, c’est une manière de faire pression sur nous pour que nous cessions nos activités.
Quelles sont les activités auxquelles vous avez participé depuis votre libération ?
N’Guya/ Nos manifestations sont quasi quotidiennes, nous sommes allées deux fois dans les campements de la RASD en Algérie, et nous avons été invitées à des rencontres de jeunes en Suède et en Espagne.
Laayoune le 13 juillet 2012
Hafad NACIRIné le 15 décembre 1995 à Smara
Je réside à Smara quartier Essalam 3 bloc 72
Je suis le fils d’Ahmed Naciri et Lalla Sallakha Baiba. J’ai deux sœurs et un frère, je suis l’aîné.
Mon père est un défenseur des droits de l’homme, ancien disparu sahraoui et ancien prisonnier politique.
J’ai ressenti l’oppression coloniale dès l’âge de 6 ans. J’avais assisté en famille à la réception d’accueil des Sahraouis de Smara faite à Sidi Mohamed Daddach à sa sortie de 24 ans de prison. C’était en novembre 2001. Une fête inhabituelle où les gens criaient des slogans. La nuit suivante des policiers ont envahi notre maison. Ils recherchaient mon père qui n’était pas là[1]. Je ne comprenais rien. Après j’ai questionné ma grand-mère. Elle a commencé à me raconter l’histoire du peuple sahraoui, séparé par la guerre. Ceux qui avaient pu fuir étaient dans les camps de réfugiés en Algérie, et nous dans le territoire du Sahara occidental occupé par le Maroc. Ce récit a suscité ma curiosité, j’ai posé d’autres questions. On m’a raconté notre histoire avec la première colonisation espagnole puis la deuxième marocaine. Mon père a été arrêté plus tard. Quand ma mère nous emmenait, ma sœur et moi, pour le visiter en prison, je trouvais insupportable de le voir enfermé et d’être privé de sa présence. Cette souffrance a été une raison d’adhésion à la cause sahraouie, et l’occupation de mon pays est devenue une grande préoccupation pour moi. Dès que mon père a été libéré, il m’a raconté d’autres choses. Il m’a parlé du Front Polisario, le représentant du peuple sahraoui. Il m’a expliqué que notre peuple n’avait aucun rapport avec le Maroc, notre voisin du nord. J’ai appris dans la famille les traditions sahraouies et leurs spécificités, notre langue le Hassanya.
Un autre moment de ma prise de conscience se situe en mai 2005. Le 21 mai l’Intifada pacifique s’est déclenchée dans le pays. Á Smara Hammada Ismaili a été renversé et gravement blessé par une voiture de police pendant la manifestation. Nous avons accompagné sa famille à l’hôpital, elle n’a pas eu le droit de le voir, ses parents étaient choqués, et je m’en étonnais qu’on le transfert à la prison ainsi. J’ai ressenti la souffrance qui nous touche collectivement. J’ai senti la nécessité d’attirer l’attention d’autres personnes et c’est pourquoi nous avons constitué un groupe d’environ 30 enfants de mon âge, le plus âgé avait 12 ans. Ma famille était au courant, mais c’est nous qui décidions de l’organisation de manifestations. Nous nous donnions rendez-vous à un lieu déterminé où nous la déclenchions. Il y avait d’autres groupes de jeunes plus âgés. Un jour l’un d’eux a été arrêté, Cheikh Ben-Allal, il avait environ 20 ans. Ses amis ont cessé leurs actions durant un mois environ ; pendant ce temps notre groupe a multiplié ses efforts pour prendre le relai.
Plusieurs groupes se sont constitués dans les établissements scolaires : en primaire, au collège et au lycée, avec une coordination entre eux. Quand une manifestation est décidée, tous les membres sont appelés à y participer.
Notre activité est devenue insupportable pour les autorités locales. Alors la police a arrêté 2 membres de notre groupe, Mohamed Lamine El Ouahmani et Ahmed Salam tous deux âgés de 11 ans de 15h à 18h. Ils les ont tabassés dans leur voiture, les yeux bandés et les mains menottes, ils les ont frappés sous la plante des pieds et conduits au commissariat. Leurs familles sont venues les chercher, elles ont été insultées par les policiers. Mais au lieu d’en être intimidés, nous nous sommes sentis plus forts dans notre détermination et le nombre de manif a été augmenté.
Problèmes rencontrés au niveau de l’école :
Notre engagement militant a parfois mis nos études en cause car nous en subissions les représailles. Nous ne pouvons rester sans réagir quand un professeur falsifie les réalités géographiques ou historiques concernant notre pays. Certains professeurs notent nos noms. Entre les cours nous nous réunissons dans la cour pour discuter ou pour faire un sit-in. Nous sommes observé et le directeur constitue une sorte de « liste noire »qu’il transmet aux autorités et se transforme ainsi en indicateur. D’ailleurs il y a des fourgonnettes de police devant chaque école car ils savent que ce sont des « laboratoires de manifestations ». Certains élèves ont été exclus de l’école. Alors ils doivent redoubler dans un autre établissement privé. Mais la grande majorité des Sahraouis de Smara sont modestes, ils n’ont pour revenu que ce qu’on appelle « la promotion nationale » et ne peuvent assumer de payer pour les études des enfants.
Quand le campement de Gdeim Izik a été envahi, nous avons fait une manifestation de soutien aux prisonniers dans 2 collèges et 1 lycée. Des gens d’âges différents sont entrés dans notre collège armés de couteaux et de chaînes, ils portaient des drapeaux marocains et nous jetaient des pierres. Personne ne pourrait se permettre de telles agressions sans autorisation ou incitation, d’autant que les estafettes de la police sont stationnées en permanence devant. Il y a eu une dizaine d’élèves blessés dont, dont 3 filles. 4 blessés ont été transportés à l’hôpital de Guelmim car il n’y a pas de scanner à Smara. L’un d’eux a perdu connaissance pendant 2 jours, J’ai été arrêté ainsi que plusieurs autres amis de mon collège et d’autres dans les autres établissements. Nous avons été menacés de redoubler, j’ai été expulsé 3 semaines de l’établissement ainsi qu’un autre ami de ma classe Salah Sbaitti.
Nous avons décidé de sensibiliser les habitants de Smara en soutien à Gdeim Izik en novembre 2010. Nous avons organisé des manifestations en soutien aux prisonniers politiques arrêtés après l’attaque du campement de Gdeim Izik. C’est dans ce cadre que j’ai été arrêté début janvier 2011. Il était environ 19h j’étais dans le quartier Essekna, j’ai vu deux policiers en civil et à pieds suivis par une estafette, je me suis sauvé mais la voiture m’a rattrapé. Quatre policiers en sont sortis de la voiture rejoints par les deux autres à pieds. Ils m’ont menottés les mains dans le dos et ont commencé à me donner des coups à la tête avec leur radio sans fil jusqu’à ce que je tombe. J’ai perdu connaissance, ils m’ont giflé pour que je revienne à moi. Alors ils m’ont relevé et l’un d’eux m’a poussé dans le dos pour que j’avance jusqu’à une grande voiture non balisée, stationnée dans la rue d’à côté. Plusieurs civils étaient à l’intérieur, ils m’ont fait asseoir sur la roue de secours, puis ils m’ont frappé, injurié, craché au visage… pendant que la voiture roulait. Je pense que ça a duré presque 2 heures et demi. La voiture s’est dirigée vers l’oued Saguia, ils ont enlevé ma chemise et déchiré mon pantalon. Arrivés près de l’oued ils m’ont enlevé les menottes mais ordonné de garder les mains derrière le dos et se sont servi de ma chemise pour me bander les yeux. Ils m’ont interdit de regarder derrière moi, en leur direction, sinon je le paierais cher. Ils sont partis après m’avoir volé mon téléphone et les 100 dirhams que j’avais sur moi. Après quelques instants j’ai regardé, mais la voiture était déjà loin et je n’ai pu en relever l’immatriculation. Je ne reconnaissais pas l’endroit où j’étais. Après un certain temps j’ai vu des voitures passer sur une route et je me suis approché. Il y avait un panneau de signalisation « Bienvenue à la communauté urbaine de Smara ». J’ai donc suivi cette direction et marché environ 2 km, puis j’ai fait du stop. Un Sahraoui s’est arrêté et m’a emmené chez moi. Il n’y avait personne, une voisine m’a dit que ma famille s’était rendue au commissariat. Elle a prévenu mes parents de mon retour.
Par la suite mon père a déposé trois plaintes : une auprès du Procureur, une deuxième auprès du Gouverneur et une troisième auprès du Divisionnaire. Aucune n’a eu une suite judiciaire.
La grande expérience de mon père pour ce genre d’épreuve a été utile. Il m’a été d’un grand réconfort. Il m’a expliqué qu’il était aussi passé par là, que c’était notre lot… et ça m’a encouragé. Mes amis aussi m’ont entouré d’affection et encouragé de poursuivre. Ma mère m’a souri, elle m’a soigné. Je savais qu’elle avait été inquiète mais quand elle m’a vu elle m’a souri.
Nous avons continué nos manifestations régulièrement. En janvier 2012 les policiers ont chargé une manifestation du groupe de soutien à Gdeim Izik à Laayoun. Au cours de cette intervention ils ont entre autre cassé les dents d’une jeune fille. Nous avons donc organisé le 15 janvier à Smara une manifestation de protestation devant le commissariat du quartier de Essalam. Le soir j’ai été arrêté dans la rue vers 19h. Les policiers m’ont emmené au commissariat où j’ai été insulté, giflé par plusieurs policiers qui se sont relayés ainsi jusqu’à 4h du matin. Ils voulaient m’obliger de signer un PV sans que je puisse le lire, devant mon refus ils m’ont menacé de frapper plus fort si je persistais. J’ai donc signé par crainte que la séance se poursuive. Ils ont téléphoné au Caïd qui a été chercher ma mère pour qu’elle signe la remise en liberté du fait que je suis mineur.
Un autre ami Ali Abou el Fadel âgé de 19 ans a été arrêté après ma libération à 11h du matin. Ce sont des amis venus me visiter dans l’après-midi qui me l’ont appris. Il est resté 72 heures au commissariat de police, puis conduit devant le Procureur du roi qui l’a remis en liberté. Pour ma part j’ai été convoqué devant le Tribunal d’instance le 16 janvier. On m’a accusé d’avoir frappé un policier qui a donné un arrêt de travail de 92 jours, mais qui ne s’est jamais présenté devant le juge qui s’est déclaré incompétent du fait que je suis mineur.
J’ai terminé l’année scolaire dans une école privée pour éviter les problèmes.
L’année précédente j’avais redoublé. C’était une année difficile, mon père avait été arrêté en octobre 2010, j’allais parfois à Rabat pour le visiter, d’autre part j’avais des problèmes avec les professeurs qui connaissaient ma situation et l’engagement politique de notre famille. Dans ce contexte je n’étais pas bien psychologiquement et mes études s’en sont ressenties.
Tan Tan le 7 juillet 2012
Mohamed SELLOUKI, né le 7 Septembre 1993 à Aljdirya.
Je réside à Smara espace Essalam bloc A N° 42
Je suis le fils de Mohamed ben Bamba ben Daf et de Mariem bent Omar.
J’ai trois sœurs et un frère. Deux de mes sœurs sont plus âgées plus âgées que moi.
J’ai intégré les activités de l’Intifada pacifique en 2005, j’étais alors en 7ème année du collège.
Ma première arrestation eut lieu le 26 mars 2006 à l’occasion de la fête de sortie de prison de Loud El Outmani. Alors que nous étions réunis pour l’accueillir, les policiers sont venus pour nous disperser et empêcher la réception organisée pour notre ami. Ce jour là il y eut de nombreuses personnes blessées et arrêtées. La police a assiégé la maison de Loud de 19h à 3h du matin. Les jeunes étaient sur le toit et les empêchaient d’approcher en jetant des pierres, mais ils ont réussi à l’envahir et nous avons tous été arrêtés, embarqués dans les estafettes où nous avons été tabassés puis relâchés.
La deuxième arrestation c’était au début 2007, à l’issue d’une manifestation dans cette même rue, il était environ 19h30. Des policiers en tenue m’ont fait monter dans l’estafette et m’ont interrogé : « Qui vous donne les drapeaux ? Quels sont les organisateurs ? Qui participe ? Quels sont vos futurs projets de manifestations ? » Toutes ces questions agrémentées de menaces. Je répondais que je ne connais personne, que j’ai trouvé les gens ici… Les policiers m’ont emmené à 3 km de la ville. Ils m’ont jeté de la voiture et m’ont interdit de regarder dans leur direction jusqu’à ce que je n’entende plus le moteur. Il était environ 23h. J’étais sonné, j’avais perdu un peu conscience. J’ai aperçu les lumières de la ville, alors j’ai pris cette direction, dans le noir. Il y avait des chiens errants autour de moi, j’avais peur. La maison la plus proche où je pouvais me réfugier était celle d’Ahmed Naciri. C’est lui qui m’a raccompagné chez moi.
La troisième fois que j’ai été arrêté, c’était en 2008 à la fin de l’année scolaire. J’avais accroché un drapeau de la RASD dans les fils électriques. Un détachement de policiers que nous avons surnommé « l’équipe de la mort » est arrivé. Ces hommes ne sont pas de Smara, hors mis deux d’entre eux qui habitent ici depuis longtemps et qui connaissent bien les militants sahraouis. J’étais avec Hamza Kantaoui, ils nous ont tabassés et fait monter dans leur voiture où ils nous ont torturés pendant que nous roulions vers le commissariat. Pour mon ami c’était sa première arrestation alors ils l’ont un peu ménagé, par contre ils se sont acharnés sur moi. Après m’avoir bandé les yeux, ils m’ont déshabillé, menotté les mains derrière le dos et m’ont mis à genoux, tête contre le mur. C’est comme ça qu’ils procèdent pour l’interrogatoire. Ils me frappaient sur la plante des pieds et sur le corps en me posant les questions : « Avec qui travailles-tu ? » « Qui te paie ? » et ils menaçaient de me violer. Cette séance s’est répétée par intervalles d’environ 20 minutes. Seul changement, les enquêteurs qui se succédaient en posaient les mêmes questions. Ça a duré de 14h à 23h30. Ils m’ont accusé d’atteinte à la sécurité de l’Etat et sous leur pression et leurs menaces j’ai signé un procès verbal. Alors ils m’ont relâché avec la menace de me tuer si je recommençais. Par la suite j’ai été sans cesse harcelé. Quand des policiers me rencontraient dans la rue, devant l’école… n’importe où, ils m’accostaient et me demandaient si j’avais changé de comportement.
La quatrième fois c’était pendant le ramadan de septembre 2008. Ce jour là il y eut une rafle générale de jeunes garçons et filles sahraouis connus pour leur militantisme. Le prétexte était qu’en soirée, un feu qui avait pris dans une voiture de police stationnée à quelques kilomètres de la ville. Une femme qui était à l’intérieur avait été brûlée au bras de même que le chauffeur qui avait tenté de ramener le véhicule en ville car ils n’ont pas le droit de sortir des limites (sauf pour les actions de représailles à notre égard). Les policiers ont voulu m’attraper, mais j’ai réussi à m’échapper et je suis allé passer la nuit chez mes oncles. Le lendemain soir je suis venu chez moi pour la rupture du jeûne. Il n’y avait pas 5 minutes que j’étais à la maison que des policiers sont venus ils savaient que j’étais là, ils ont exigé que je sorte sinon ils entraient me chercher. Je n’ai pas voulu qu’ils entrent car je savais qu’ils saccageaient les logements, alors je suis sorti.
J’ai été embarqué au commissariat sans avoir pu manger ni boire. J’avais les mains menottées derrière le dos, un bandeau sur les yeux. Au cours du trajet ils me giflaient et m’insultaient. J’ai été mis en cellule et eux sont allés manger, moi je n’avais rien avalé depuis le matin. Pendant ce temps ma famille et des amis étaient venus au commissariat pour faire pression et demander ma libération. Ils m’avaient aussi apporté à manger. Le divisionnaire est arrivé après plus de deux heures, il m’a donné le plat qui m’étais destiné en me donnant moins de cinq minutes pour l’avaler car il voulait m’interroger. Le divisionnaire est arrivé mais il ne m’a pas laissé cinq minutes pour manger car ils voulaient m’interroger. Il m’a emmené à son bureau il m’a fait assoir sur une chaise, il m’a demandé poliment ce qui s’était passé à propos de l’incendie. J’ai répondu que je n’en savais rien, que je n’avais rien vu et que ce n’était pas de notre fait. Il m’a donné un Coran pour que je jure dessus. Je l’ai fait. Mais il m’a prétendu que j’avais menti, et a reposé une seconde fois la question correctement. J’ai répété la même chose. Alors il a appelé des policiers pour qu’ils m’emmènent ailleurs pour un interrogatoire. Ils étaient deux, ils m’ont menotté et bandé les yeux, conduit dans une autre pièce. Deux à trois minutes après, trois personnes sont entrées. On m’a enlevé le bandeau pour que je puisse les voir. Parmi eux se trouvait le tortionnaire de Laayoune, bien connu, Tawhima. Je ne l’avais jamais vu mais il s’est présenté. Il a commencé à me frapper et me disant : « on sait que tu n’as rien fait mais tu étais avec trois jeunes qui ont incendié le véhicule » et il a donné les noms de trois militants : Abdoullah Cheihb, Ramdane Elbaz et Salek Abdi M’bareck. J’ai nié les avoir vus et être avec eux de même que la voiture. Alors ils m’ont bien tabassé sur tout le corps et sous la plante des pieds. Ils ont proféré des menaces à mon égard ainsi qu’à l’dresse de ma famille, surtout de mon père qui est fonctionnaire mais aussi de ma mère. J’ai résisté un certain temps mais après j’ai dit que je dirais tout ce qu’ils veulent. Ils ont apporté un procès verbal déjà rédigé et m’ont obligé à le signer. J’ai été relâché et j’ai trouvé ma famille devant le commissariat.
J’ai téléphoné à mes trois amis. Á cette période seul Ramdane était à Smara, Salek était à Laayoune avec sa famille et Abdoullah travaillait à Dakhla. Je leur ai raconté ce qui s’était passé et ce que j’avais été obligé de faire. Par la suite Salek et Ramdane ont été arrêtés et condamnés à 8 mois de prison. Abdoullah est encore en fuite.
Ma cinquième arrestation eut lieu 5 mois plus tard. J’avais encore manifesté sans cacher mon visage, j’ai donc été reconnu par leurs vidéos et photos. La police est venue chez moi et a demandé que je sorte. Le même scénario s’est reproduit, avec presque les mêmes policiers du » groupe de la mort ». Leur chef était l’officier Abdessamad Bahali. Il était bien connu à Smara avant d’être promu près de Rabat. Au commissariat j’ai subi de nouveau leurs tortures, mais ils ne posaient aucune question. C’était en représailles et ça a duré deux heures. Ils m’ont précisé que c’était la dernière fois avant qu’une plainte soit déposée et que j’aille en prison pour une longue durée. Ils m’ont demandé de promettre de ne pas recommencer.
Le réconfort je l’ai reçu dans ma famille. Quand je ne suis pas arrêté à la maison, mes parents le découvrent quand je rentre. Ma mère pleure quand elle me voit arriver dans cet état, une fois elle s’est évanouie. Mon père me conseille de ne pas perdre ma jeunesse, il pense qu’on ne peut rien contre la force d’un tel régime. Mes amis viennent me visiter et m’encouragent. Ils font des photos des traces de tortures et les publient, ça me réconforte de savoir que c’est publié à l’extérieur.
Après les incidents de Dakhla suite au match de foot en 2011, nous avons fait une manif en solidarité avec les victimes de la répression de Dakhla. La police nous a encerclés et frappés à coups de pieds, de poings et de matraques.
En février 2012 j’étais dans la rue en compagnie de deux amis, on marchait. Nous avons été suivis par une estafette de policiers. Je suis rentré dans une boutique pour acheter une de recharge de portable. Deux policiers sont descendus de l’estafette et m’ont arrêté alors que j’essayais de résister. Ils m’ont menotté les mains dans le dos et m’ont fait monter dans leur estafette où quatre autres policiers en civil étaient là Ils m’ont bandé les yeux. La voiture a démarré pour aller dans un quartier reculé de la ville où ils m’ont abandonné plus tard. Je n’ai rien compris car ils ne m’ont posé aucune question. J’ai été durement tabassé. Durant un quart d’heure les coups de pieds, de poings, de matraques pleuvaient sans qu’ils prononcent un mot. Je m’écriais : « Qu’ai-je fait ? » en nommant ceux que je connais : Salem Boukktib, Abderrahim M’chicho, et l’officier Abdessamad Bahali.
Cette équipe spéciale de 12 membres opère en deux brigades de six. L’officier qui commande l’autre brigade c’est Khalid Boumehdi, et parmi ses hommes il y a Abderrahim (qui enseigne d’autre part l’anglais dans une école privée), Mounir, Kacem, et un autre que l’on appelle Kiki. Ils ont tous été promus au grade d’officier depuis leur affectation dans cette équipe.
J’ai passé le bac littéraire cette année avec succès et je vais suivre des études de droit à Rabat à la prochaine rentrée universitaire. J’espère devenir avocat.
Tan Tan le 8 juillet 2012
La double peine de militantes sahraouies
Depuis les années 90 au cours desquelles Hassan II a organisé une colonisation de peuplement marocaine au Sahara occidental, la cohabitation entre les deux populations fut relativement sans accrocs, même les mouchards au service du Maghzen ne subir aucune représaille des victimes de leurs serviles offices. Tout aurait pu se poursuivre ainsi si les autorités coloniales n’avaient incité les civils marocains à agresser verbalement et physiquement les Sahraouis à l’issue des soulèvements et manifestations populaires tel qu’en septembre 1999 à Laayoune et plus récemment en novembre 2010 après le démantèlement du campement de Gdeim Izik. Depuis 20 mois les témoignages ne cessent de nous parvenir : ce sont des élèves de collège à Smara attaqués à l’arme blanche dans l’établissement scolaire sans que la police stationnée en permanence devant l’établissement n’intervienne ; les étudiantes de Casablanca qui n’osent plus revêtir leur melhfas qui les signale à la vindicte de nationalistes ou de personnes crédules qui avalent tout ce que la propagande du marocaine raconte sur les Sahraouis.
L’agression dont les enfants d’Aminatou Haïdar, Hayate 17 ans et Mohamed 16 ans, est révélatrice du climat de haine entretenu par les autorités. La militante raconte : « Je ne crois pas que ces gens aient su qu’il s’agissait de ma famille. Pour eux ils étaient Sahraouis, ma sœur, sa fille et la mienne portaient le melhfa. Ma nièce m’avait téléphoné pour m’avertir que les insultes avaient commencé alors que le car roulait entre Agadir et Laayoune. Je lui avais recommandé de ne pas répondre à cette provocation. Après la pose repas, alors que ma sœur réglait les consommations, les filles sont remontées seules dans le car. C’est à ce moment que les agresseurs ont frappé Hayate au visage, l’envoyant heurter violemment la vitre. Ils se sont ensuite rués vers Mohamed qui dormait sur la banquette arrière du bus et ils l’ont frappé. Le chauffeur du car est intervenu pour qu’ils cessent et le bus est reparti. Heureusement que ma fille m’a téléphoné. Il était 1h du matin et j’ai immédiatement appelé le Wally de Laayoune qui était bien ennuyé… qu’il s’agisse de mes enfants. Je lui ai dit qu’ils subissaient les mêmes conséquences dangereuses que les autres enfants, des directives de son administration. J’ai porté plainte contre ces agresseurs qui ont été identifiés et qui devront répondre de leurs actes. Sur la recommandation du médecin j’ai emmenée ma fille à Las Palmas pour un examen ophtalmologique approfondi.»
Outre les années de prison dont ils écopent, les grèves de la faim qu’ils s’obligent à observer pour faire respecter leurs droits, les militants sahraouis ont le souci des dangers qui planent sur leurs enfants. Aminatou poursuit la conversation en me confiant : « Cette année Hayate a obtenu le bac. Elle a toujours été une élève studieuse qui ne fait pas parler d’elle. Pourtant je me suis étonnée durant l’année de notes catastrophiques en sciences naturelles. Des 4, 5… alors que dans les autres matières elle est brillante. Quand je lui ai demandé la raison elle s’est effondrée en larmes et m’a avoué qu’elle était harcelée par ce professeur qui l’excluait régulièrement des cours en lui disant « je veux parler à ta mère ». Pourtant c’est son papa qui l’inscrite et a donné ses coordonnées à l’administration. Je suis allée voir le directeur qui a été très courtois et m’a dit que ma fille était une très bonne élève, il a promis de voir ce qu’il en était pour cette matière. J’ai d’autre part appris que ce professeur, Monsieur Adil Khouidar, ne pratiquait pas de contrôle, il attribuait de bonnes notes aux élèves (sauf à ma fille). C’est par ailleurs un militant nationaliste. J’espère que l’administration interviendra pour que ce cours reprenne un fonctionnement normal. Avec ce qui s’est passé je ne veux pas qu’à la rentrée prochaine ma fille poursuivre ses études au Maroc, loin de nous, puisqu’il n’y a aucune université au Sahara occidental.»
Ghalia Djimi, témoin de ce récit, regrette qu’en 2009 elle n’ait pas donné suite à un incident qui aurait pu dégénérer. Il s’agit de l’attitude étrange d’un individu qui interpela sa fille Nacera et une petite copine à leur retour de l’école en leur demandant : « Qui a une maman qui s’appelle Ghalia ? ».
« Les enfants ont eu peur, elles ont crié, l’individu est parti car les voisines apparaissaient aux fenêtres. Ma fille ne m’a rien dit en rentrant : nos enfants ont tendance à nous protéger des inquiétudes à leur sujet. C’est la directrice de l’école, alertée par l’autre maman, qui m’a avertie de cet incident dont je n’ose pas imaginer à quoi il aurait pu conduire. J’ai dû changer ma fille d’école pour qu’elle y aille en bus et cela occasionne des frais supplémentaires car c’est une école privée. »
Pour qui s’interrogerait ou douterait des motivations des jeunes générations à réclamer l’indépendance de leur pays, voilà des exemples du quotidien d’une colonisation insupportable, y compris aux enfants.
Laayoune le 16 juillet 2012
LES SAHRAOUIS PRIVES DE VACANCES !
Dans la hantise que surgissent au Sahara occidental occupé de nouveaux campements de protestation comme à Gdeim Izik en 2010 où 20 000 sahraouis ont dénoncé leurs conditions de vie et le pillage de leurs richesses naturelles, les autorités marocaines ont interdit à l’approche de l’été 2011 (même punition pour l’été 2012), toute installation de tente sur les milliers de kilomètres de plages du littoral atlantique du Sahara occidental. Conséquence : les familles qui ont les moyens de louer un logement en bord de mer, peuvent s’échapper de la fournaise des villes (à Smara il faisait plus de 50° à l’ombre en ce mois d’août 2012). Pour les autres, c’est la punition collective.
Au cours de l’été 2010 avec Roland et France Weyl nous avions été accueillis sous la belle tente que Ghalia Djimi et son mari Dafa installent à côté de leur petit cabanon à une cinquantaine de kilomètre au sud de Laayoune. Sur les dunes qui longent de cette immense plage des familles ont construit des cabanons. L’été ils installaient des tentes traditionnelles magnifiquement décorées à l’intérieur et les grands parents venaient y passer deux mois avec les enfants ... certains avec leurs chèvres.
Cette année ce petit coin de tranquillité était d’une tristesse sans nom. Dépourvu de tout ce qui l’animait deux ans plus tôt. Les cabanes, emmitouflées dans des bâches ficelées en guise de protection du vent, étaient sans vie. Seul un véhicule à côté du poste de gendarmerie marquait une présence humaine.
La privation de liberté de circulation, c’est aussi la caractéristique d’une colonisation.
Michèle DECASTER
Secrétaire Générale de l’AFASPA
(SPS)
010/090/666 051743 SEPT 2012 SPS
[1](Ahmed Naciri était parti à Laayoune pour accueillir Danielle Mitterrand, les autorités marocaines et un haut diplomate français l’en ont dissuadée, arguant que sa venue susciterait des réactions hostiles à son égard)